Rentrer dans la tête des souris : évaluer leur bien-être mental à travers leur biais de jugement
On appelle “biais cognitif” l’influence de l’état émotionnel d’un individu sur ses comportements ou ses processus cognitifs (Bethell, 2015). Le biais de jugement est un biais cognitif qui existe aussi bien chez l’humain que chez les autres animaux. Afin de mieux comprendre ce phénomène, une illustration simple des biais de jugement a été faite par Bethell en 2015 que l’on peut traduire ainsi : “Vous vous levez de bonne humeur, vous vous rendez dans votre cuisine et marchez sur la souris que votre chat vous a laissé en présent. Le lait dans le frigo est sûrement périmé et il pleut dehors. Si vous vous étiez levé de mauvaise humeur (ou que vous souffriez d’anxiété ou de dépression) n’importe lequel de ces événements vous aurez coupé toute motivation à aller travailler ou continuer votre journée. Mais, vous vous êtes levé de bonne humeur ce matin. C’est pourquoi, vous remerciez le chat pour ce présent, vous prenez un jus de fruit vitaminé et appréciez la nature qui vous offre cette magnifique pelouse verdoyante.” Ainsi, votre état mental influence votre interprétation des événements et comment vous vous comportez par la suite.
Afin d’évaluer le biais de jugement d’un animal, on fait associer à l’individu un stimulus avec une récompense (souvent alimentaire) et un autre avec un événement moins positif voire négatif (comme une “punition”). Les stimuli sont distincts afin de créer un contraste clair pour l’animal (par exemple : le stimulus positif est localisé à droite et l’autre à gauche ; Figure 1). A l’issue de l’apprentissage, les individus produiront un comportement approprié en fonction du stimulus présenté (ils s’approcheront ou non du stimulus). Lorsque cette association est établie, on ajoute des stimuli “intermédiaires” (généralement 3), qui se positionnent entre les deux stimuli existants (par exemple : des localisations plus centrées ; Figure 1). En réponse à ces nouveaux stimuli, un individu optimiste (dans un bon état de bien-être) produira le même comportement d’approche que pour le stimulus positif, pensant pouvoir obtenir une récompense. A l’inverse, un individu pessimiste interprétera les stimuli intermédiaires comme prédicteurs d’un événement négatif. C’est ce qui a été démontré chez plusieurs espèces dont les rats (Harding et al., 2004) et les souris (Kloke et al., 2014).
En bref, en fonction des réponses pessimistes ou optimistes des individus dans les tests de biais de jugement, nous pouvons avoir accès à l’état émotionnel des animaux et donc, à leur état de bien-être mental. Nous pouvons ainsi étudier l’état de bien être psychologique des individus lorsqu’ils sont dans différentes situations en comparant, par exemple, des animaux hébergés dans des milieux enrichis ou appauvris ou avec différentes densité de population dans la cage, etc.
Figure 1 : évaluation des biais de jugement d’une souris. Le stimulus positif est représenté en bleu, le négatif en rouge et les intermédiaires en gris.
- Bethell, E. J. (2015). A “How-To” Guide for Designing Judgment Bias Studies to Assess Captive Animal Welfare. Journal of Applied Animal Welfare Science, 18(sup1), S18–S42. https://doi.org/10.1080/10888705.2015.1075833
- Harding, E. J., Paul, E. S., & Mendl, M. (2004). Cognitive bias and affective state. Nature, 427(6972), 312–312. https://doi.org/10.1038/427312a
- Kloke, V., Schreiber, R. S., Bodden, C., Möllers, J., Ruhmann, H., Kaiser, S., Lesch, K.-P., Sachser, N., & Lewejohann, L. (2014). Hope for the Best or Prepare for the Worst? Towards a Spatial Cognitive Bias Test for Mice. PLOS ONE, 9(8), e105431. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0105431