Prise en charge des troubles du comportement des lapins domestiqués : vers une cohabitation plus respectueuse
1. Les problèmes liés à la vie captive
Une étude réalisée en France en 2018 sur 135 propriétaires de lapins a mis en évidence que la majorité des lapins considérés vivent en l’absence d’un congénère (70,1%). Les conditions d’hébergement sont variables puisque, près de la moitié des lapins vivent en liberté totale (46,3 %), et les autres dans une cage fermée (38,8 %), en parc (10,4 %), ou en clapier extérieur (4,5 %).
Des études démontrent que la vie en enclos et la vie en cage sont significativement différentes en ce qui concerne l’expression des comportements. Par exemple, les comportements d’entretien (se reposer, boire, manger, uriner et déféquer) sont plus souvent observés chez les lapins en cage (44,5% des comportements observés) que chez les lapins vivant en enclos (25,3% des comportements observés), alors que les comportements de confort (se toiletter, se gratter, secouer la tête, s’étirer, bailler et toiletter un autre lapin) sont plus observés chez les lapins en enclos (40,6 % des comportements observés) que chez les lapins en cage (23 % des comportements observés) (Podberscek et al., 1991). De plus, les comportements agonistiques, comme mordre un autre animal et le poursuivre, ne sont observés que chez les lapins en enclos (2,5% des comportements observés), alors que les comportements stéréotypés, comme griffer les murs ou les coins de la cage et mordre les barreaux de la cage ou les mangeoires, n’ont été observés que chez les lapins en cage (6,3% des comportements observés) (Podberscek et al., 1991). Bien que les comportements agonistiques soient des évènements négatifs pour le bien-être de l’individu qui les reçoit, ils font partie du répertoire comportemental normal des lapins. Au contraire, les comportements stéréotypés sont des comportements anormaux qui traduisent un mal-être profond de l’animal.
Il est bon de rappeler que les recommandations minimales pour deux lapins de compagnie sont un abri de 1 m² carré attaché à un enclos de 3 m² (Stapleton, 2021), certaines associations préconisent un habitat de 6 m² (Rabbit Welfare Association and Fund [RWAF] 2023). D’une manière générale, les lapins sont plus actifs dans des enclos plus grands et ont plus d’interactions avec leur environnement que les lapins dans les enclos de plus petite taille (par exemple 3.35 m² au lieu de 0.88 m² ou 1.68 m² ; Dixon et al., 2010). Les lapins ont aussi besoin d’un accès quotidien illimité à une aire d’exercice, car un accès restreint (3 h par jour) entraîne une hausse de leur niveau de stress, indépendamment de la taille de leur cage (0.73 m² or 1.86 m² ; Rooney et al., 2023). Ces études ont toutes deux observé une hausse de l’activité locomotrice, et en particulier des jeux, chez les lapins au moment où ils gagnent accès à un espace plus grand (Dixon et al., 2010) ou après un temps de restriction d’accès à l’aire d’exercice (Rooney et al., 2023), ce qui montre leur appréciation de pouvoir s’exercer plus librement. Si pour des raisons logistiques l’accès à l’aire d’exercice doit être restreinte, il est préférable de l’offrir aux lapins en début et en fin de journée, quand ils sont le plus actifs (Rooney et al., 2023).
Comparé au logement solitaire, le logement en paire permet de réduire l’incidence des comportements stéréotypés et permet un retour au calme plus rapide après un évènement stressant (Burn and Shields, 2020). Il est donc grandement encouragé d’adopter au moins deux lapins. Choisir un compagnon pour un lapin déjà adopté doit être fait en connaissance des besoins et des préférences de celui-ci, puisqu’une cohabitation forcée avec un individu incompatible sera aussi néfaste pour le bien-être des lapins que la vie en isolement. Il est important ici de préciser que les cochons d’inde et les lapins sont des compagnons inappropriés, et cohabitent difficilement ensemble, du fait de leurs différences en termes de comportement et communication et de besoins nutritionnels, en plus du risque de harcèlement et de transmission de maladies que représentent les lapins pour les cochons d’Inde (Fawcett, 2011).
Enfin, en captivité, le choix du régime alimentaire repose sur le propriétaire, et il est souvent inadapté aux besoins physiologiques et comportementaux du lapin, avec pas ou peu de foin et trop d’aliments concentrés.
Ne pas répondre aux besoins intrinsèques (d’espace de vie, de sociabilité, de nutrition et de stimulation) des lapins domestiques fait émerger des comportements indésirables, comme la peur (et l’agression) de l’humain, les marquages intempestifs et la non-utilisation de la litière, ou les grignotements inappropriés (par exemple de meubles et câbles électriques) (Crowell-Davis, 2007 ; González-Martínez et al., 2022). C’est pourquoi comprendre ces besoins est important pour construire une relation et une vie plaisante pour le lapin et l’humain.
2. Des solutions pour une vie plus épanouie
Dans un article complet dédié aux réponses à apporter à différents comportements des lapins de compagnie avec lesquels nous vivons, Nadene Stapleton (2021) propose des actions à mettre en place pour permettre aux lapins de s’épanouir. Ici, quatre thèmes principaux sont envisagés : le régime alimentaire, l’enrichissement du lieu de vie, l’exercice et la vie en groupe.
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Régime alimentaire
Une attention particulière doit être accordée au régime alimentaire, car la recherche et la prise alimentaire sont des comportements prépondérants au cours de la vie d’un lapin, et leur réalisation permet aux lapins d’être bien psychologiquement et physiologiquement. Les lapins ont besoin de fibres présentes dans l’herbe fraîche qui leur assurent une usure normale des dents et une bonne fonction digestive. Toutefois, le foin est recommandé pour les lapins domestiques, pour des raisons logistiques (un approvisionnement constant en herbe fraiche peut être compliqué à mettre en place pour les lapins vivant en intérieur) et par précaution sanitaire (certaines essences végétales peuvent être trop riches en sucre par exemple). Il peut être intéressant de varier les types de foins proposés aux lapins en fonction de leurs besoins : une forte proportion de tiges et de matières riches en fibres peut suffire à l’entretien des dents tandis que les foins de meilleure qualité nutritionnelle (par exemple contenant plus de luzerne et de trèfles) peuvent être utilisés comme compléments alimentaires chez les individus ayant des besoins énergétiques accrus (par exemple, les individus ayant perdu du poids ou les femelles gestantes) (Clauss, 2011). En outre, le foin est plus long à consommer que les régimes concentrés distribués sous forme de granulés, ce qui permet de réduire l’ennui et donc le développement de comportements destructeurs, comme mâcher les meubles et creuser les tapis. Dans le cas où les lapins ne présentent pas de maladies particulières, la ration quotidienne de granulés doit être limitée à un maximum de 25g/kg de poids corporel, ce chiffre étant réduit pour les animaux castrés ou présentant des soucis de santé particuliers (Prebble, 2014). A cela, il est important d’ajouter des éléments végétaux frais, comme certaines espèces de salades.
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Enrichissement du lieu de vie
La vie en groupe dans un enclos est plus favorable à l’épanouissement des lapins que la vie en cage, et la vie en liberté au sein du foyer des adoptant.es semble l’option à prioriser pour offrir aux lapins une vie riche et épanouie. Le libre accès à tout l’espace de vie ainsi que la recherche de nourriture s’imposent comme des enrichissements nécessaires pour l’équilibre et l’épanouissement des lapins, tout en leur permettant de ne pas s’ennuyer. Plus concrètement cela peut se traduire par la distribution de jouets que les lapins doivent ouvrir pour consommer le contenu alimentaire ou encore des tapis de recherche au sein desquels des aliments sont dissimulés.
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Exercice physique
Il est important pour les lapins d’avoir accès à d’autres formes d’exercice physique que la recherche alimentaire, comme les déplacements dans des tunnels ou la possibilité de grimper sur le mobilier lorsque que c’est sécurisé (comme sur le canapé par exemple). Pour les lapins vivant exclusivement à l’intérieur, il est également important de prendre en compte le revêtement de sol de leur zone d’activité, car cela peut avoir un impact sur leur volonté de faire de l’exercice. Un sol glissant pouvant être une source de peur, de frustration ou de stress, voire de blessures, les lapins évitent généralement de courir sur les sols glissants, ce qui peut limiter la quantité réelle d’espace accessible. Pour répondre à ce problème, il suffit d’ajouter des tapis. De plus, il est important de proposer une grande litière par lapin pour qu’ils soient suffisamment à l’aise pour uriner et déféquer et restent donc en pleine forme.
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Vie en groupe
Enfin, il est important d’insister sur le fait que les lapins sont des animaux très sociaux et ont donc besoin de partager leur vie avec au moins un congénère avec lequel ils s’entendent bien. La combinaison recommandée est un couple mâle et femelle stérilisés, car il est difficile de faire s’accommoder deux mâles ou deux femelles à long terme, même s’ils proviennent de la même portée ou sont stérilisés. En effet, les changements d’activité hormonale (à la puberté ou au printemps/été) entrainent souvent de l’agressivité entre individus du même sexe.
La présentation d’un nouveau lapin au lapin (ou groupe de lapins) résidant du foyer doit être graduelle, en plaçant dans un premier temps les lapins dans des cages adjacentes (pour qu’ils puissent se voir et se sentir en toute sécurité), puis de les mettre en contact (supervisé par un humain, et éventuellement en harnais s’ils y sont habitués) en dehors de la cage afin de limiter les comportements agressifs (Crowell-Davis, 2007). Ainsi, les lapins dominants qui sont prêts à défendre leur domaine vital, peuvent revendiquer un territoire et exiger une distance de sécurité avec leurs voisins via de nombreux comportements agressifs (Bill et al., 2020). De nombreux facteurs contribuent à la réussite ou à l’échec d’une relation entre deux lapins et donc de leur cohabitation, tels que l’âge (les lapins très âgés peuvent ne pas apprécier un jeune encore trop plein d’énergie), l’espace disponible (qui peut dicter le niveau de territorialité et de conflit) et le tempérament (ou personnalité) de chaque lapin. Des recherches ont d’ailleurs pu mettre en évidence l’existence d’une personnalité individuelle chez les lapins, dont différents aspects peuvent être mesurés. Mais à l’heure actuelle, les formats d’évaluation de la personnalité des lapins ne sont encore qu’au stade primaire de leur développement (Ellis, 2020). Ces différences de personnalité impliquent que les lapins ne peuvent pas tous s’entendre avec chacun de leurs congénères ou avec l’ensemble des humains, ils ont des expériences qui forment leurs préférences. Pour cette raison, Le Companion Animal Welfare Council (CAWC) suggère que tous les animaux placés dans des refuges devraient faire l’objet d’une évaluation de leur « tempérament et de leur réaction à différents environnements et stimuli » (CAWC, 2004) avant le placement, et que ces informations soient fournies aux adoptant.e.s potentiel.le.s afin d’améliorer la compréhension par les adoptant.es des besoins individuels de l’animal et ainsi réduire la probabilité d’un retour dans les refuges.
D’une manière générale, il est important de prendre le temps de connaitre les lapins avec qui l’on partage sa vie. Il est nécessaire de leur offrir des stimulations physiques et mentales pour les aider à se construire et pour pouvoir bâtir une relation saine et de confiance entre eux et avec nous.
Références :
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Bill, J., Rauterberg, S. L., Herbrandt, S., Ligges, U., Kemper, N., & Fels, M. (2020). Agonistic behavior and social hierarchy in female domestic rabbits kept in semi-groups. Journal of veterinary behavior, 38, 21-31.
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Burn, C. C., & Shields, P. (2020). Do rabbits need each other? Effects of single versus paired housing on rabbit body temperature and behaviour in a UK shelter. Animal Welfare, 29(2), 209-219.
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CAWC (2004). The Report on Companion Animal Welfare Establishments: Sanctuaries, Shelters and Re-homing Centres. Companion Animal Welfare Council. https://edepot.wur.nl/1560
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Clauss, Marcus. « Clinical Technique: Feeding Hay to Rabbits and Rodents ». Journal of Exotic Pet Medicine, vol. 21, nᵒ 1, janvier 2012, p. 80‑86. ScienceDirect.
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Crowell-Davis, S. L. (2007). Behavior problems in pet rabbits. Journal of Exotic Pet Medicine, 16(1), 38‑44.
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Dixon, L. M., Hardiman, J. R., & Cooper, J. J. (2010). The effects of spatial restriction on the behavior of rabbits (Oryctolagus cuniculus). Journal of veterinary behavior, 5(6), 302-308.
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Ellis, C. F. (2020). Exploring domestic rabbit (Oryctolagus cuniculus) personality utilising behaviour coding, behaviour testing and a novel behaviour rating tool (Doctoral dissertation, University of Northampton).
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Fawcett, A. (2011). Management of husbandry‐related problems in guinea pigs. In Practice, 33(4), 163-171.
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González-Martínez, Á., Castro, S., Camino, F., Rosado, B., Luño-Muniesa, I., & Diéguez, F. J. (2022). Epidemiology of behavioural problems in pet rabbits : An owners’ survey. Journal of Veterinary Behavior, 49, 65‑70.
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Podberscek, A. L., Blackshaw, J. K., & Beattie, A. W. (1991). The behaviour of group penned and individually caged laboratory rabbits. Applied Animal Behaviour Science, 28(4), 353‑363.
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Prebble, J. (2014) Chapter 3: Nutrition and feeding. In BSAVA Manual of Rabbit Medicine. Eds A. Meredith, B. Lord. British Small Animal Veterinary Association. pp 27–35
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Rabbit welfare association & fund (Rwaf). (2023, février 3). Rabbit Welfare Association & Fund (RWAF). https://rabbitwelfare.co.uk/
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Rooney, N. J., Baker, P. E., Blackwell, E. J., Walker, M. G., Mullan, S., Saunders, R. A., & Held, S. D. (2023). Run access, hutch size and time-of-day affect welfare-relevant behaviour and faecal corticosterone in pair-housed pet rabbits. Applied Animal Behaviour Science, 262, 105919.
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Stapleton, N. (2021). Guide to behavioural issues in rabbits. In Practice, 43(1), 18‑25.