Prêts pour la retraite ?

Depuis un an, aux Etats-Unis, se tiennent des discussions houleuses sur les animaux de laboratoire. En effet, des associations activistes comme White Coat Waste demandent la mise en place de législations sur la retraite des animaux de laboratoires, et en particulier des primates. Ces demandes font débat au sein de la communauté scientifique, qui se retrouve divisée entre les partisans de cette initiative et les opposants.

Certains scientifiques ne voient en effet pas d’un bon œil la retraite des animaux en fin de protocole expérimental. Une des premières raisons évoquées par les chercheurs interviewés est l’incertitude de la qualité de vie des animaux dans les sanctuaires. En effet, les laboratoires sont soumis à des règles strictes concernant la détention des primates et font l’objet de contrôles fréquents, alors que les sanctuaires sont libres de s’occuper des animaux comme ils l’entendent (sauf s’ils sont membres volontaires de la « North American Primate Sanctuary Alliance »). Ensuite, le besoin de mettre les primates à la retraite ne semble pas évident, et certains affirment que ces animaux peuvent être utilisés dans différents types de recherches tout au long de leur vie. Par exemple, en fin de vie, ils deviennent intéressants pour les recherches sur les impacts du vieillissement sur les capacités physiques et intellectuelles. Enfin, certains chercheurs craignent l’interdiction d’utiliser toute espèce de primates dans la recherche, en rappelant l’exemple des chimpanzés. En 2010, la NIH (National Institutes of Health) qui régit la plupart des centres de recherche biomédicaux aux USA, reconnaissait « non-nécessaire » l’utilisation des chimpanzés dans la recherche, annonce qui fut suivie par l’arrêt du soutien aux recherches invasives et au retrait en 2017 des chimpanzés dans les recherches conduites par la NIH.

Au-delà des opinions des scientifiques, la réhabilitation des primates est un vrai défi. Tout d’abord trouver un sanctuaire fiable qui puisse les accueillir n’est pas une mince affaire. Par exemple, l’article relate le transfert de Bush, un macaque de 23 ans, dont l’équipe de recherche a mis 2 ans à trouver un sanctuaire adapté et fiable… à 15 heures de transport du centre de recherche. Cela deviendrait un véritable problème si les 100 000 primates utilisés dans la recherche aux Etats-Unis devaient tous être réhabilités à la fin de leur vie expérimentale. L’argument suivant porte sur le bien-être de l’animal mis en retraire à un âge avancé après n’avoir connu que la vie de laboratoire. Les changements, même positifs, dans son environnement physique et social pourraient en effet engendrer du stress chez certains sujets. L’article décrit la fatigue visible de Bush après son long voyage vers le sanctuaire, et sa réticence à sortir à l’extérieur de son enclos car il n’avait connu jusque-là que la vie en cage. Pour les animaux qui ont toujours vécu en isolement se pose le défi de la resocialisation (qui est une des mission d’Éthosph’R), car ces animaux n’ont connu qu’un groupe restreint d’humains tout au long de leur vie et peuvent éprouver des difficultés à réapprendre les règles de communication de leur espèce. Enfin, une raison financière vient compléter le discours des opposants puisque les coûts engendrés par la prise en charge des primates par le sanctuaire sont souvent plus élevés que le coût d’une euthanasie, ce qui ne rend pas cette option très attrayante pour les finances des structures de recherche (bien que ces coûts soient moins élevés que les frais d’entretien de l’animal dans un centre de recherche).

Malgré tout, il semble que les laboratoires de recherche souhaitent mettre en place ces mesures de prise en charge en fin de vie. Certains centres de recherche (comme les universités de Yale et Princeton, citées dans l’article) mettent en place des partenariats privilégiés avec certains sanctuaires (comme celui accueillant Bush), et y financent des améliorations permettant d’accueillir plus de primates ou les conditions de prise en charge. D’autres, comme l’université Johns Hopkins à Baltimore, considèrent une autre alternative qui consisterait à créer leurs propres sanctuaires de manière à limiter le transport et le stress des animaux, tout en permettant aux humains qui les ont connus de pouvoir les voir s’épanouir dans leur vie post-expérimentale. Car oui, les chercheurs et les soigneurs animaliers s’attachent à leurs animaux, ce qui rend la mise à la retraite dans un sanctuaire bénéfique pour tous les primates,  humains et non humains.

Référence

David Grimm, 2019. Ready to Retire? A nascent movement to send aging research monkeys to sanctuaries divides the biomedical community. ScienceMag, 366(6470):1182-1185.