Gérer le conflit moral : les consommateurs attribuent des capacités mentales moindres aux animaux de laboratoire

Parallèlement à l’interdiction dans plus de 40 pays de tester des produits cosmétiques sur des animaux, 45.5% des expérimentations sur l’animal sont conduites pour répondre à l’obligation légale d’évaluer la toxicité des nouveaux médicaments mis sur le marché (Commission européenne, 2021).

Les consommateurs ont une perception conflictuelle de ces expérimentations : d’une part ils reconnaissent la nécessité de les conduire, et d’autre part ils refusent d’en accepter les conséquences pour les animaux impliqués. L’évitement de l’information, l’ignorance volontaire (e.g. ne pas regarder si les produits utilisés sont testés sur des animaux) et l’amoindrissement de la perception de la responsabilité dans les torts faits aux animaux sont des moyens que les consommateurs utilisent pour se désengager moralement de ce conflit. Par exemple, il apparaît que les consommateurs considèrent les tests réalisés sur les animaux comme une responsabilité collective et non individuelle.

Enfin, les consommateurs ont tendance à minimiser le tort fait aux animaux utilisés dans les expérimentations par le refus de l’existence d’esprit (i.e. activité mentale) chez ces animaux. C’est ce que rapporte la publication de Vezirian et al. (2024), à travers les résultats de quatre études rassemblant 3405 participants. Pour ces études, une liste de produits de consommation courante, pour lesquels l’expérimentation animale est utilisée, était présentée aux participants. Les participants devaient sélectionner ceux qu’ils consommaient. Ensuite, un message annonçait clairement que les produits sélectionnés nécessitaient le recours à l’expérimentation animale pour la sécurité des humains. Les participants devaient ensuite noter les capacités mentales d’animaux (lapin, chien de race Beagle, hamster et macaque), présentés comme dans un contexte d’utilisation « de laboratoire » ou « dans leur habitat naturel ». Les capacités mentales considérées étaient : la capacité à ressentir les émotions primaires (joie, colère, peur, dégout, douleur, faim) et secondaires (plaisir, bonheur, fierté), à avoir des capacités sensorielles (gouter, voir, entendre), des intentions (désirs, souhaits) ou des pensées (plans, buts). La notation de ces capacités pour les animaux présentés se faisait sur une échelle allant de 1 (« ne possède définitivement pas ») à 7 (« possède définitivement »). Ensuite, afin de mesurer leur désengagement moral, les auteurs ont demandé aux participants de donner leur degré d’accord avec des affirmations en rapport avec la justification des expérimentations animales, la préoccupation morale pour les animaux de laboratoire, et la perception de la responsabilité.

Les résultats de l’étude montrent que le fait de présenter les animaux comme « de laboratoire » menait à une moindre considération de leurs capacités mentales, comparés aux mêmes animaux présentés dans le contexte de leur habitat naturel. Il est intéressant de noter que cette différence de considération était moindre pour les macaques, surement du fait de leur proximité morphologique et génétique avec les humains. Contrairement aux prédictions des auteurs, la diminution des capacités mentales des animaux « de laboratoire » n’était pas affectée par la sévérité des atteintes à leur bien-être, ni par la responsabilité perçue par les participants. En effet, les auteurs pensent que les participants diminueraient d’autant plus les capacités mentales des animaux si les torts subis étaient plus élevés, ou si leur responsabilité dans ces torts était plus grande, en réponse à un sentiment de culpabilité plus élevé.

 

  • European Commission. (2021). Summary Report on the statistics on the use of animals for scientific purposes in the Member States of the European Union and Norway in 2018. https://ec.europa.eu/environment/chemicals/lab/animals/pdf/SWD_%20part_A_and_B.pdf.
  • Vezirian, K. ; Bègue, L. ; Broke, B.. (2024). Mindless furry test-tubes: Categorising animals as lab-subjects leads to their mind denial. Journal of Experimental Social Psychology, 114:104629.