Les comportements affiliatifs : des interactions vitales à prendre en compte pour le bien-être des animaux

Comment démontrer l’existence de comportements affiliatifs et prosociaux ?

Les animaux non-humains aussi font preuve de coopération et comprennent les besoins de leurs conspécifiques

Les comportements dits « prosociaux » font partie des interactions affiliatives et sont définis comme toute action destinée à répondre aux besoins d’un autre individu, à améliorer son bien-être et à lui apporter bénéfices, sans pour autant représenter un coût supplémentaire à l’auteur de l’action (Amici et al., 2017; Heaney et al., 2017; Rault, 2019). Cela suggère alors une prise en compte et une compréhension de la situation d’autrui.

La prosocialité est parfois considérée comme conditionnant un autre type d’interaction affiliative bien connue : la coopération (Dale et al., 2019). La coopération contribuerait à la survie de l’animal par exemple en alertant d’autres individus de la présence d’une menace, en vocalisant lors de la découverte de nourriture, via la chasse coopérative, l’aide aux individus blessés etc. (de Waal and Suchak, 2010).

La coopération peut donc se définir comme « deux ou plusieurs individus agissant ensemble pour atteindre un but commun » (Boesch and Boesch, 1989; Molesti and Majolo, 2016) et est considérée comme l’une des compétences cognitives les plus importantes chez les animaux sociaux (Yamamoto et al., 2019). De nombreuses espèces de primates sont considérées comme étant capables de coopérer (chimpanzés, les macaques de Barbarie etc.) mais aussi d’autres espèces comme les dauphins, les lions, les suricates, les pies et d’autres encore. Tout cela peut sembler bien abstrait, surtout quand les études portent sur des animaux dont il est compliqué de traduire le langage. Cependant, il existe des protocoles permettant aux scientifiques de démontrer que des individus s’engagent dans des comportements affiliatifs et prosociaux.

Exemples de paradigmes mettant en évidence les comportements prosociaux et coopératifs

Pour évaluer la capacité d’un individu à s’engager dans des comportements prosociaux, un protocole un peu spécial est mis en place, qui requiert aux animaux testés d’apprendre un enchaînement d’actions et de conséquences.

Pour ce faire, prenons l’exemple des chimpanzés d’une expérience d’Horner et al. (2011) (Figure 1). Deux chimpanzés sont placés l’un à côté de l’autre séparés par un mur transparent; ils peuvent ainsi se voir l’un et l’autre. Devant eux se trouve l’expérimentateur qu’ils peuvent aussi voir. Le chimpanzé n°1 est le sujet testé dit « acteur » dont on note le comportement. Le chimpanzé N°2 est son « partenaire » (celui sensé déclencher le comportement prosocial chez le chimpanzé n°1).

Le chimpanzé N°1 a à sa disposition deux types de jetons de couleurs différentes qu’il doit présenter à l’expérimentateur. Selon la couleur du jeton choisi par l’acteur, l’expérimentateur donne une récompense seulement à ce chimpanzé (jeton « égoïste »), soit aux deux animaux (jeton « prosocial »). Le nombre de jetons choisis pour chaque couleur est compté à la fin de l’expérience et les comportements analysés. Dans cette expérience, le chimpanzé N°1 choisit préférablement l’option « prosociale », ce qui suggère une prise en compte du besoin du chimpanzé N°2.

Différentes variantes de ce protocole existent, notamment testées sur d’autres espèces comme les perroquets (Brucks and von Bayern, 2020), les loups (Dale et al., 2019), et les rats (Hernandez-Lallement et al., 2015).

Figure 1: Design d’une expérimentation visant à évaluer la capacité d’un chimpanzé (à droite) à effectuer un comportement prosocial en faveur d’un conspécifique (à gauche) (illustration de Horner et al., 2011)

Pour ce qui est de mesurer l’aptitude à la coopération, il existe un paradigme qui a été largement utilisé avec différentes espèces sociales comme les primates, les perroquets gris d’Afrique, les hyènes, les éléphants, et les loups. Il consiste à présenter deux extrémités d’une corde qui doivent être tirées simultanément par deux individus, afin d’accéder à un plateau de nourriture (Molesti and Majolo, 2016). Dans ce paradigme, la corde n’est pas attachée au plateau, et donc ne l’entraînera pas si un seul individu tire dessus (elle glisse le long du plateau, qui ne bouge pas). Ainsi, ce paradigme teste la capacité des deux individus à comprendre le rôle et l’importance de l’autre pour le succès de l’action et à agir simultanément, qui sont des facteurs indispensables pour coopérer (Yamamoto et al., 2019).

Nous pouvons prendre par l’exemple l’expérience réalisée par (Plotnik et al. (2011) (Figure 2) sur les Eléphants d’Asie. Dans cette expérience, les deux éléphants doivent tirer simultanément les extrémités de la corde pour que le plateau puisse glisser vers eux.

Figure 2 : vue au-devant des éléphants et du plateau de nourriture à tirer (1), vue de dessus (2), vue latérale des deux éléphants tirants les extrémités de la corde (3) (illustration de Plotnik et al., 2009)

Durant la première partie de l’expérience, les éléphants étaient relâchés simultanément et accédaient donc en même temps à la corde qui devait être tirée. Dans un second temps, un premier éléphant était relâché avant son partenaire, afin d’évaluer s’il pouvait comprendre le besoin d’attendre son partenaire pour pouvoir tirer la corde efficacement.

Les éléphants d’Asie, chimpanzés, keas, et corbeaux se sont montrés capables d’attendre leur partenaire un certain temps avant de tirer la corde (Yamamoto et al., 2019).

Références :

Amici F, Mimó MC, von Borell C and Bueno-Guerra N 2017. Meerkats (Suricata suricatta) fail to prosocially donate food in an experimental set-up. Animal Cognition 20, 1059–1066.

Boesch C and Boesch H 1989. Hunting behavior of wild chimpanzees in the Tai National Park. American journal of physical anthropology 78, 547–573.

Brucks D and von Bayern AMP 2020. Parrots Voluntarily Help Each Other to Obtain Food Rewards. Current Biology 30, 292-297.e5.

Dale R, Palma-Jacinto S, Marshall-Pescini S and Range F 2019. Wolves, but not dogs, are prosocial in a touch screen task. PLoS ONE 14, 2–13.

Heaney M, Gray RD and Taylor AH 2017. Keas perform similarly to chimpanzees and elephants when solving collaborative tasks. PLoS ONE 12, 1–13.

Hernandez-Lallement J, Van Wingerden M, Marx C, Srejic M and Kalenscher T 2015. Rats prefer mutual rewards in a prosocial choice task. Frontiers in Neuroscience 9, 1–9.

Horner V, Carter JD, Suchak M and De Waal FBM 2011. Spontaneous prosocial choice by chimpanzees. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America 108, 13847–13851.

Molesti S and Majolo B 2016. Cooperation in wild Barbary macaques: factors affecting free partner choice. Animal Cognition 19, 133–146.

Plotnik JM, Lair R, Suphachoksahakun W and De Waal FBM 2011. Elephants know when they need a helping trunk in a cooperative task. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America 108, 5116–5121.

Rault JL 2019. Be kind to others: Prosocial behaviours and their implications for animal welfare. Applied Animal Behaviour Science 210, 113–123.

de Waal FB and Suchak M 2010. Prosocial primates: selfish and unselfish motivations. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences 365, 2711–2722.

Yamamoto C, Kashiwagi N, Otsuka M, Sakai M and Tomonaga M 2019. Cooperation in bottlenose dolphins: Bidirectional coordination in a rope-pulling task. PeerJ 2019, 1–16.